“Le monde est flou”
Un livre écrit par Christophe CERRI
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4è de couverture
“Ce récit, c’est le mien, il parle de mon combat contre le handicap et les/mes préjugés pour vivre « comme tout le monde » dans ce monde de plus en plus flou, pour me construire d’abord contre puis avec par la suite. J’ai essayé ici de le replacer à hauteur de l’homme que je suis devenu aujourd’hui ou de l’enfant et adolescent que j’ai été hier dans une société où le handicap visuel n’était pas aussi bien vu et dans laquelle, y compris actuellement, il reste encore énormément à faire et à inventer. Il s’agit ici de mon histoire, de mon parcours de vie et non d’une vérité absolue sur le handicap ou la différence en général, mais peut-être nous permettra- t’elle, au-delà de ce qui m’est personnel, de pouvoir mieux toutes et tous ensemble appréhender nos différences, quelles qu’elles soient pour mieux les vivre ensemble comme autant de fils à tisser et non de fils à « “barbeler ».
Extrait chapitre 1
“Je ne sais pas, au moment où je commence l’écriture de ce témoignage, de quoi seront faites les lignes qui vont suivre, si elles vont avoir un quelconque intérêt ou si, elles vont pouvoir trouver leurs cohérences… j’ai juste besoin de les écrire. C’est suffisant pour un point de départ, pas forcément pour un récit. Alors j’écris juste et laisse les mots, les idées arriver. J’aimerais également en profiter pour d’emblée définir ce « je » que j’utiliserai tout le long de ce texte. Il ne s’agit pas de ce moi égocentrique où « je » est au centre de toute chose et mesure le monde qui l’entoure à la hauteur de son nombril, mais de ce « je » individu qui cherche sa place dans un monde peut-être trop grand pour lui. Ce « je » qui doute et qui cherche et se cherche parmi les autres dans un monde de plus en plus flou et incompréhensible.
[…]
“J’ai alors deux ou trois ans et je sens bien qu’il se passe des trucs « différents » autour de moi. Mais a-t-on conscience, quand on est si petit, de ce qui est « normal » ou de ce qui ne l’est pas ? Le monde est vaste et il est à découvrir et c’est pour moi, le temps des premiers apprentissages. Qu’est-ce qui relève de ma vie de petit garçon et qu’est-ce qui relève de ma « spécificité » ? Un peu tôt pour m’en souvenir véritablement, mais j’imagine que c’est le temps de la première prise de conscience de ma « différence » parce que, pour ma sœur Carole, ça a l’air plus simple et plus évident”.
Quelques extraits !
(Non exhaustifs, il fallait bien choisir)
Chapitre ! 1
« Je ne sais pas, au moment où je commence l’écriture de ce témoignage, de quoi seront faites les lignes qui vont suivre, si elles vont avoir un quelconque intérêt ou si, elles vont pouvoir trouver leurs cohérences… j’ai juste besoin de les écrire. C’est suffisant pour un point de départ, pas forcément pour un récit. Alors j’écris juste et laisse les mots, les idées arriver. J’aimerais également en profiter pour d’emblée définir ce « je » que j’utiliserai tout le long de ce texte. Il ne s’agit pas de ce moi égocentrique où « je » est au centre de toute chose et mesure le monde qui l’entoure à la hauteur de son nombril, mais de ce « je » individu qui cherche sa place dans un monde peut-être trop grand pour lui. Ce « je » qui doute et qui cherche et se cherche parmi les autres dans un monde de plus en plus flou et incompréhensible. »
« J’ai alors deux ou trois ans et je sens bien qu’il se passe des trucs « différents » autour de moi. Mais a-t-on conscience, quand on est si petit, de ce qui est « normal » ou de ce qui ne l’est pas ? Le monde est vaste et il est à découvrir et c’est pour moi, le temps des premiers apprentissages. Qu’est-ce qui relève de ma vie de petit garçon et qu’est-ce qui relève de ma « spécificité » ? Un peu tôt pour m’en souvenir véritablement, mais j’imagine que c’est le temps de la première prise de conscience de ma « différence » parce que, pour ma sœur Carole, ça a l’air plus simple et plus évident. »
« En partant de l’INJA et de Paris, j’en étais alors moi aussi retourné à l’âge préhistorique de « l’adaptation technologique » parce que je n’avais aucun matériel « spécialisé » personnel. Pas de Perkins et quand bien même si j’en avais utilisé une, je me serais fait lyncher par les étudiants (quasi sûr de ça) vu le barouf qu’une machine à écrire braille fait. La différence oui, mais à condition qu’elle ne s’entende pas !! Impossibled’utiliser une tablette braille manuelle, j’étais trop lent pour prendre des notes et très mauvais brailliste de surcroît. Ça n’aurait pas résolu le problème du bruit dans l’amphi en y rajoutant le bruit du poinçon semblable à celui du bec du pivert sur un tronc d’arbre. A propos de cette question de « bruit » en amphi, si j’avais été à l’époque ce que je suis aujourd’hui, j’aurais non pas imposé ma Perkins, mais posé le problème à l’ensemble de la promo pour qu’on puisse ensemble trouver une solution qui convienne à tout le monde. Une solution qui m’aurait rendu la vie plus facile et non, comme j’allais le faire, me la compliquer encore plus. Mais là, je voulais m’intégrer et me « normaliser », pas me « singulariser » d’une manière ou d’une autre. C’était il y a près de 25 ans et je n’en étais pas là. Il me restait un bon vieux fond de pensées limitantes, de honte doublée d’un peu de culpabilité et de volonté d’intégration dans le « monde des gens normaux ». M’invisibiliser dans le monde du visible. En un mot, c’était à moi de m’intégrer et sans faire de bruit, s’il vous plaît !! »
chapitre 3
« Je peux aujourd’hui l’avouer sans mal, parce qu’il y a prescription, j’étais un enfant un peu difficile puisque j’essayais d’entrer dans un costume qui était bien trop mal taillé pour moi. Ce qui a bien changé aujourd’hui car je ne suis plus un enfant et que j’ai renoncé à vouloir entrer dans n’importe quel costume. C’était pour moi, avec du recul, une manière de combattre l’injustice de ce handicap et de me venger de ce monde où je ne comprenais/voyais rien et dans lequel, avec mes « petits moyens » d’enfant, il me fallait trouver en urgence des stratégies de « survie ». En fait, rien de bien original dans ce processus psychologique. Je cherchais à être cadré, rassuré, à être contenu, à trouver les contours du monde et mes propres limites, à me justifier d’être là même négativement parce qu’au moins j’existais !! Je n’arrivais ni à exprimer mes besoins ni à trouver de réponses à mes questions non conscientisées. C’est ce modèle que j’ai plus ou moins trimbalé et reproduit tout au long de mon adolescence et dans ce nouveau statut pas très bien défini de « jeune homme » et qui, peut-être encore par moments, s’invite sournoisement dans ma vie d’adulte. J’ai alors 25 ou 26 ans et se pose à nouveau à moi la question de l’homme que je pense devoir être et de celui que je suis en train de devenir. »
« L’une des nombreuses questions à laquelle j’ai eu à répondre et à laquelle je dois d’ailleurs répondre encore régulièrement, est la question du handicap visible/invisible. Oui, en tant qu’handicapé il y a une multitude de questions auxquelles « on doit » répondre et dont on se passerait bien parce que c’est épuisant de devoir répondre à des questions que l’on ne se pose plus. Physiquement je n’ai pas de séquelles, un chirurgien pourrait s’extasier sur mes fonds d’yeux (ce qu’il ne manque pas de faire à la moindre consultation) mais, pour le commun des mortels, rien de « visible » donc rien de compréhensible. J’ai longtemps refusé de montrer mon handicap en pensant qu’il me diminuait et, tout au long de ce chemin, j’ai développé des stratégies de dissimulation tellement efficaces qu’aujourd’hui encore il ne se voit pas. Que puis-je y faire, je ne vais pas me mutiler pour vous rassurer. »
« La canne avait, à mes yeux, une connotation un peu « vieillotte » et un caractère « stigmatisant ». Conception tout à fait personnelle pour laquelle d’autres aveugles vous diront qu’au contraire, elle est source de libération. Stigmatisante parce que son utilisation me sortait, à titre personnel, de la foule des anonymes dans laquelle je cherchais à trouver ma place et puisque, à titre collectif, en m’en sortant, elle me replaçait dans la catégorie des « aveugles » et du cortège de clichés et de méconnaissances qui alourdissent nos vies et dont nous sommes bien trop souvent nous-mêmes les porteurs. On finit parfois, trop souvent, par un phénomène d’intériorisation, à ressembler à ce que nous dénonçons et ce n’est pas propre qu’au monde du handicap me semble-t-il… malheureusement. La lutte contre le poids des étiquettes et des prédestinations sociales sera l’un des piliers de mes combats de militant associatif, qu’on se tienne d’un côté ou de l’autre de ces étiquettes d’ailleurs. »
chapitre 4
« Je jouais à ce moment-là, dans un trio de jazz expérimental (Trio Apple Fish) avec des copains de fac dans lequel nous mettions beaucoup d’espoirs et un groupe de Rythm’n Blues un peu, beaucoup « à la cool », composé de quadras/quinquagénaires bien installés dans leurs vies pros et familiales mais que le démon de la musique n’avait pas quitté. Moi j’œuvrais déjà pour la mixité intergénérationnelle. Eux y revenaient pour le fun et l’apéro !! Ça me faisait du bien après une expérience lourde et pas très bien terminée. Je (re)-découvrais la légèreté et le plaisir dans la musique. Ça aurait été juste mieux si on avait pu être un peu plus efficace dans la constitution du répertoire. Toujours est-il qu’à force de boire l’apéro et de ne pas travailler, on avait fini par décrocher une date dans un festival de blues dans un patelin dont l’un des musiciens était originaire. La grande aventure, nous allions enfin sortir de notre local de répètes pour faire un concert !!! »
« J’avais un petit local de répètes rue Louis Carrand dans le 5e à Lyon, où je travaillais ma batterie et où on répétait désormais. Il devait faire grand maximum 20 à 25 m² tout mouillé et surtout n’était pas fait pour accueillir du public et encore moins du public « handicapés » (les pauvres petits chéris) parce que les « normes d’accessibilité » n’étaient pas réunies. Mais ça s’est fait !!! En général, quand les choses bougent dans le domaine du handicap et de l’institution, c’est souvent parce qu’un éducateur, qu’un accompagnant, qu’un soignant réussit à voir que ce qui compte et le résident, le travailleur, le patient dont il s’occupe, l’humain qu’il y a derrière la personne handicapée. Alors les choses se font parce qu’elles ont du sens pour tout le monde et qu’il y a, oui j’ose les mots, beaucoup de confiance, de respect et d’affection entre les personnes et leur accompagnateur. C’était le cas entre Jean-Jacques et ses résidents. »
Chapitre 5
« On en était là, quand un soir, après les travaux à La Cocotte, j’ai dû aller à la remise officielle de Nati à l’Hôtel de Ville avec le président de l’Ecole de chiens- Guides. Je n’avais pas compris que l’Hôtel de Ville désignait les salons de la Mairie Centrale et qu’il me faudrait prendre la parole devant une assemblée de donateurs du Lions Clubs qui finançait l’Ecole. J’avais imaginé une sorte de démarche administrative à accomplir, un formulaire à remplir comme pour une carte d’identité. Je sortais des travaux tout « craspouillle » et bien peu présentable pour ce genre de circonstances. Je n’avais jamais pris la parole en public et encore moins pour parler de mon handicap. Je ne me rappelle plus vraiment ce que j’ai dit, mais au bout de quelques minutes toute la salle avait la larme à l’œil non pas par compassion mais par émotion sincère. C’est l’une des premières fois où je me suis dit que, peut-être, j’avais des trucs à dire et à faire passer en ce qui concerne le handicap. Mais la route est longue et, à cette époque-là, j’avais surtout besoin et envie que l’on me reconnaisse avant tout comme « professionnel » et non comme « handicapé ». »
chapitre 6
« Je vous parle ici des notions d’autonomie, et d’estime de soi., celles que l’on acquiert petit à petit au prix de durs efforts, celles qu’on vous enjoint de prendre à grand coup de « il faut que tu » et celles qu’au final on vous enlève en un millième de seconde y compris parfois dans un excès de pudeur, d’empathie ou de bienveillance mal contrôlée. Tenter de se mettre à la place de l’autre ne veut pas dire projeter ses propres peurs ou ressentis inconscients (ou non) sur autrui souvent par ignorance ou manque d’information (« je » ne suis pas concerné donc je n’ai jamais cherché à comprendre) et pourtant, le plus souvent c’est bien ce qu’il se passe. Cette situation génère énormément de frustration et d’incompréhension. Il nous faudrait nous taire et serrer les dents pour, dans un sourire, s’excuser pour ne pas alimenter le cliché du handicapé en colère ? Peut-être suffirait-il de faire disparaître les remarques et autres situations discriminantes pour que celles-ci disparaissent à leurs tour. Nous avons tous, handicapés ou non, suffisamment à faire avec nos propres colères sans que nous ayons besoin de porter des sacs-à-dos qui ne sont pas les nôtres. »
chapitre 9
« Ceci étant posé, admis et surtout, non négociable, la question qui s’en suit est « Est-il possible pour un-e handicapé-e d’avoir un corps intime, un corps plaisirs ? ». Malheureusement, je ne suis pas très sûr de la réponse « sociétale » et je sais également que, dans cette réponse, il faut encore faire une différence entre les genres. J’aimerais pouvoir vous dire que c’était au siècle dernier, mais il arrive encore qu’on dise ou qu’on fasse ressentir très fortement à ma compagne qu’elle mérite mieux qu’un aveugle et qu’à son tour elle soit jugée et examinée sous toutes les coutures parce qu’elle doit être une pauvre fille pour ne pas avoir trouvé mieux. J’aimerais aussi pouvoir dire que ce phénomène n’existe que dans les coins les plus reculés du pays, mais là non plus ce n’est pas le cas. Va te construire avec ce type de sentences définitives et destructrices car, bien sûr, même si les mots n’ont que la puissance que vous leurs donnez, quand vous doutez déjà de ce que et de qui vous êtes, ils sont ravageurs. »
chapitre 10
« Alors comment « être un parmi tous » ? C’est encore et toujours, l’épineuse question de l’individuation, chercher à savoir qui je suis pour mieux me situer dans la société. Elle est peut-être là, la vraie notion de contexte, car seul ou avec des « gens comme moi », donc sans référence extérieure ou autre, je ne suis pas handicapé, puisque mon handicap étant ma norme, je suis « normal ». Et si le handicap des handicapés c’étaient les valides ? Et si on inversait les rapports de « domination » ? Qu’advienne enfin, dans un souffle vengeur et expiateur, le « HANDY POWER » : « Nous avons souffert, à votre tour de déguster ». Ouais, bof, ce ne serait pas très malin comme concept. Et si on s’en foutait, en fait ? Est-ce que ce ne serait pas mieux pour tout le monde ? Est-ce si important de savoir si l’autre a les mêmes capacités que moi parce qu’elles me permettent de me reconnaître en lui ? Et si justement la richesse se trouvait dans la complémentarité, l’échange et non uniquement dans l’expérience commune ? Et si, et si, et si…. Et pourquoi pas, tiens ! tous autant qu’on est, se foutre la paix les uns aux autres et se regarder un peu chacun dans son propre miroir ? Non pas pour se juger mais se jauger et faire le point de là où on en est soi. « L’enfer c’est les autres » qu’il disait et si c’était plutôt nous nos propres enfers ou paradis en réalité ? »