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Extraits – Du pays d’où je viens.

Merci aux copains et copines, préteurs de voix / Pascal, Camille, Pitos, Muriel et Julien.
A clémentine pour ses visuels, à Pierre pour le site et à Fabien pour son soutien.

Merci à Julien d’Esposito pour les enregistrements & Joseph Beulion, pour le prêt de sa musique

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“Du pays d’où je viens”  – Recueil de Nouvelles (20).
Ecrit par Christophe CERRI

D’exils intérieurs en arbres chevelus, il est parfois nécessaire de creuser sous la surface des choses pour découvrir en soi, le souffle de son dragon. Puis, faire comme l’oiseau face à la mer, déployer ses ailes et prendre de la hauteur pour regarder sans plus de peur ses ombres et ses poussières, son ombre et sa lumière.

Quelques fois,, c’est aussi fragile et éphémère qu’un papillon rencontré par hasar sous une pluie d’été ou qu’un ours hurlant à la lune parce qu’il a perdu, dans le fond d’une bouteille sans fond, ses rêves d’enfant. D’autres fois, c’est aussi simple qu’un colis posé sur le bord d’un toit, que des traces de pas dans la neige pour retrouver son chemin ou que ce vieux Maurizio, attendant, patiemment fidèle au poste sur son perron, le retour de l’amour de toute une vie.

Quelle est, en réalité, l’histoire que l’on veut bien se raconter ou celle que l’on est prêt à accepter ? Que reste-t -il aujourd’hui du clan des Hommes Libres qui empruntait naguère, l’autoroute des Lilas pour traverser la Forêt Enchantée peuplée d’animaux féroces et légendaires ?

 Avant-propos 2021 & 2022 (réédition)

Chaque petite histoire de ce recueil peut être envisagée séparément et prise pour ce qu’elle est, une partie de cette série de tranches de vie réelles ou fantasmées, vécues ou inventées. Elles peuvent également se lire comme un ensemble qui dessinerait pas après pas, les questionnements intérieurs et extérieurs d’un seul et même personnage à travers différents âges.
Textes écrits entre août 2020 et février 2021.
L’écriture, quelle aventure…
Relectures, nouvelles moutures.
Et nous voilà, en moins de deux…
En 2022 !

 

Quelques extraits ! (11)

 

Face à la mer

“Voilà déjà six mois que cette pandémie nous éloigne les uns des autres et qu’elle fait remonter en chacun d’entre nous, des peurs archaïques et profondes. Quelle drôle de période que celle-ci ! Une partie de moi souhaite que nous puissions en tirer une sorte d’enseignement collectif pour éviter d’entrer dans le mur qui se dresse devant nous, alors qu’une autre pense qu’appuyer à la fois sur le frein et l’accélérateur ne permettra qu’un temps, de l’éviter. Mais là, je suis sur la plage, en vacances d’été. Il fait beau et chaud dans les maillots. Les vagues ondulent et se brisent langoureusement sur le rivage en engloutissant, dans des cris joyeux et des éclats d’écume, des corps entiers de vacanciers ballottés par les flots.”

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Le clan des Hommes Libres

“Nous restons peu et affamés. Un soir, pendant la cérémonie du tambour, j’ai fait un voyage fantastique dans un pays où le gibier est abondant et les dangers bien moins nombreux. Je réunis alors, celles et ceux d’entre nous qui tiennent encore debout. Je leur parle de ce que j’ai vu dans mon rêve. Les membres du clan les plus rapides serviront d’appâts, les autres de rabatteurs. Ils crieront et frapperont la terre, comme on frappe la peau du tambour pour effrayer le gibier. Une fois la victime piégée et acculée, ceux restés cachés surgiront et tous se retourneront contre l’animal en le perçant de toutes parts. Maintenant, mieux organisés, nous pourrons chasser ensemble de plus grosses proies et permettre à tous de survivre en étant plus fort individuellement. Ainsi, nous aurons, grâce à cette technique de traque, plus de viande fraîche pour agrémenter les baies et les racines, plus de peaux et de fourrure pour les habits, plus d’os et d’ivoire pour fabriquer de nouveaux outils. En agissant ensemble, nous aurons moins faim, nous aurons moins froid. Oui, ensemble, nous pourrons survivre.”

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L’arbre chevelu

Mais, le temps du temps et le temps des hommes ne sont pas les mêmes. La roue de la vie tourne pour chacun pareil, riche ou pauvre, humble ou prétentieux, le même terminus pour tous. Mon grand-père est parti, puis quelques années plus tard, ce fut le tour de ma grand-mère. Ils avaient raison, car même partis, ils n’étaient jamais très loin et je sentais à leurs côtés, des présences connues ou inconnues qui me regardaient avec bienveillance et qui me reconnaissaient dans leur lignée. La maison avait été vendue et avec elle s’en était allée, un bout de mon enfance. À leur arrivée, ils avaient planté côte à côte, deux pommiers qui avaient poussé de manière rapide et quasi identique. Ce qui aux yeux des hommes était plutôt surprenant et avait été longuement discuté pour en conclure que de bonnes graines, sur un sol fertile, donnent de beaux arbres.

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La forêt enchantée

“Il était une fois, dans un pays très très lointain et en des temps très très reculés, une ribambelle de lapins qui habitait dans la forêt enchantée du terrier du milieu. Ils vivaient en paix, sautillaient et gambadaient joyeusement de mottes en bruyères et de bruyères en touffes d’herbes. Ils vivaient heureux en bon voisinage et échangeaient avec leurs voisins de terrier, des carottes, des feuilles de luzerne et autres amabilités de circonstances.

C’était un jeudi, je crois, et tous, à la demande de Rabbitwan Ken’ObBy, un jeune blanc-truffe devenu il y a peu chef du village, étaient réunis sur la place du marché. L’air grave et emprunté, il dit d’un ton magistral :
— Mes chers colapinots, mes chères colapinotes, une grave menace pèse sur nous…”

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Un papillon sous la pluie
Je suis parti léger, habillé en été. La météo n’a rien annoncé de particulier… Enfin, j’aurais peut-être dû vérifier avant. Normalement en été, il fait beau, sauf quand il pleut. Bref, les emmerdes c’est comme les cons, ça vole toujours en escadrille, pensais-je, totalement désabusé. J’ai lu ou vu ça quelque part, je ne me souviens plus où exactement. Peut-être du Gabin ou du Blier parlant de l’Audiard. Mais, on verra ça plus tard, parce que pour le moment je dois me calmer et tenter de passer entre les gouttes pour arriver au boulot, le plus sec possible. La « réu de 10 heures » est super importante. Je vais présenter le projet, sur lequel je bosse depuis six mois, devant le Grand Patron et les partenaires de la boîte. Je dois quand même avoir l’air crédible et ne pas ressembler à une vieille serpillière mal essorée. Déjà que j’ai une gueule de déterrer en ce moment et que ce boulot me gonfle, si en plus j’arrive liquide, ça risque de me desservir quelque peu. Bel exemple d’autosabotage, un cas d’école même. Bon aller, avant toute chose, trouver un endroit où m’abriter.

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Des pas dans la neige

La neige a commencé à tomber abondamment dans la nuit du quatrième jour. Je devais repartir le lendemain vers la civilisation et me voici bloqué ici. Je n’ai pratiquement plus rien à manger. J’avais pourtant prévu, sur les conseils de l’agence de location, six jours de nourriture pour un séjour de quatre entiers. Mais, même avec un rationnement drastique, difficile de faire durer pour neuf jours alors que me voilà déjà arrivé au onzième. J’ai englouti mon dernier paquet de pépitos il y a belle lurette. Je me contente, désormais, de neige fondue agrémentée de quelques morceaux de sucre. Je me suis résolu, en dernier recours, à faire brûler le mobilier de la bergerie pour me réchauffer. Tant pis pour ma caution même si avec une table, une armoire, un lit et quelques bancs IKEA, vaudrait mieux pas que mon séjour en ces lieux ne s’éternise. Le mythe du refuge traditionnel, meublé en chêne massif, en a pris un sacré coup. Heureusement, la réserve de bois est remplie. Elle devrait suffire. Enfin, je l’espère n’étant pas très expert en matière de survie en montagne par temps de grand froid.”

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Le vieux sur le perron

“Il y a là, comme posé sur le perron d’une maison de banlieue, un vieux, qui d’un jour à l’autre, ne semble pas changer de place. Il a même fini, à force, par prendre la couleur des murs qui l’entourent. On le croirait figé ici, immobile sur sa chaise depuis la nuit des temps. Nous en avons toutes et tous vu ou croisé, un de ces vieux assis sur un banc près du bord de la route. Ils restent là, à regarder la vie se dérouler sous leurs yeux. Tour à tour, gardiens hiératiques d’une époque passée, témoins d’une époque présente ou prophètes d’une époque à venir. Le mien, sentinelle de pierre pour l’éternité, est posé au 44 de la rue des Anges. Et rien ni personne ne semble pouvoir l’empêcher d’être fidèle à son poste sur ce perron.”

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L’ours et la lune

Brad est statufié, il fixe avec insistance un point sur le tronc du chêne. Cet arbre doit être multicentenaire, quoique je n’y connaisse pas grand-chose en arbre. J’ai juste entendu dire que l’âge se détermine au diamètre du tronc et le sien est large et imposant. Il n’y a rien dans les haies tout autour à signaler de particulier. Rien, pas le moindre animal qui aurait pu lui rappeler ses instincts de chasseur, pas la moindre tomate non plus. Non, c’est bien cet arbre qu’il fixe comme hypnotisé. Une branche épaisse pend devant moi. Elle a sûrement dû être cassée par un coup de vent. D’autres, plus fines, ploient sous le poids d’un feuillage abondant. L’écorce semble avoir été burinée par des vents changeants et la patience du temps qui a dessiné des sillons sur son tronc rugueux. On dirait des ravins où ont dû naguère serpenter, des rivières de sève aujourd’hui asséchées. En suivant les creux et les crêtes de ses nervures, je découvre des paysages libres et sauvages. Le point qu’il fixe est un nœud, je crois. Une sorte de protubérance posée sur l’arbre à partir de laquelle part un réseau de lignes de vie. Je suis à mon tour attiré par cet œil. Mais non, je ne rêve pas ! il s’ouvre et me fixe droit dans les yeux. J’ai l’impression étrange d’être mis à nu tandis que des frissons me parcourent tout le corps. Une voix dans ma tête me dit : félicitations, tu es enfin sur le chemin de ta guérison intérieure. Mais s’il te plaît, est-ce que tu pourrais arrêter de me pisser sur les racines quand tu viens dans le fond du jardin ? C’est bien ma veine, je tombe sur un arbre qui parle et comme mon ex, c’est pour me faire des reproches.”

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Fais comme l’oiseau

J’ouvre doucement les yeux bien au chaud dans mon lit, l’esprit encore engourdi par mes aventures de la nuit. J’ai encore fait ce drôle de rêve et pour qu’il ne s’évapore pas dans un claquement de doigts, j’essaie de le garder encore un peu avec moi. Je sais que dès que j’ouvrirais les yeux, il disparaîtra de sous mes draps. Alors, je tente de m’en souvenir et de m’imprégner de la sensation d’ultime liberté qu’il me procure chaque fois. Oui, j’ai encore rêvé d’ailes. Je volais dans l’atmosphère et les nuages. Aussi léger que le vent, je me sentais à la fois homme et oiseau. J’essayais, en battant des bras, de fendre l’air et d’effectuer des figures acrobatiques en m’appuyant sur l’air du temps. J’aurais voulu jouer avec les lois de l’apesanteur ou utiliser les lois de la gravitation, fendre l’air en piqué et remonter tout aussi rapidement, mais à dire vrai, je ne m’en acquittais qu’à grand-peine. Les lois universelles se foutent bien de mon aptitude à en comprendre le fonctionnement exact. Et puis, je n’ai pas été sociabilisé dans ce monde en tant qu’oiseau alors il me semble normal que je rame un peu en tant qu’homme-oiseau. Et puis, c’est mon rêve, alors, je fais comme je veux !

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Exil intérieur

Je me réveille péniblement avec une sensation de sommeil prolongé. J’ouvre les yeux sur un plafond défraîchi et il faut bien le dire un peu miteux. Un néon grésille en son centre. Il diffuse une lumière blafarde qui éclaire la pièce en soulignant les ravages du temps. Putain, l’hôpital public… J’suis foutu ! Autrefois, le plafond avait dû être blanc, comme l’ensemble des murs, mais aujourd’hui, il est devenu gris. La peinture a commencé à se craqueler depuis bien longtemps et laisse désormais apparaître un plâtre rongé par l’humidité. En face de moi, je vois deux portes fermées. L’une, j’imagine, s’ouvre vers la sortie de la chambre, l’autre vers la salle de bains. Au sol, pour ce que je peux en voir, je distingue un carrelage qui ne vaut guère mieux que le plafond ou les murs réunis. À mi-hauteur du mur, une plinthe colorée délimite le bas du haut. Le monde a dû sacrément vieillir pendant mon coma ou alors, peut-être que c’est moi. Depuis combien de temps suis-je là ? Quel jour sommes-nous ? Quelle heure est-il ?

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Le souffle du dragon

Un café posé sur la table fume à côté de moi. Vendredi roulé en boule ronfle au milieu de la montagne de couvertures que j’ai disposée sur le lit pour lui faire un petit nid douillet. Il a bouffé comme un ogre mort de faim et rattrape maintenant, tout son retard de sommeil accumulé. Je suis assis au bureau où j’observe l’horizon tout en moulinant activement les bras du système de secours. Il est grand temps de me signaler par radio ou de voir si je peux aider quelqu’un. Le ciel est redevenu bleu. Quelques gros nuages cotonneux défilent tranquillement, poussés par des vents plus apaisés. Les vagues ondulent sur la mer et se brisent mollement sur la grève. Tiens, qu’est-ce que c’est ce truc ? Me dis-je en plissant les yeux pour mieux voir, même si je ne vois pas mieux pour autant. J’attrape dans l’un des tiroirs, la paire de jumelles. En faisant la mise au point, je m’aperçois qu’il s’agit d’un corps inerte, allongé sur le sable. La tasse se brise en tombant par terre tandis que dans un élan rapide, je repousse d’un coup de reins la chaise qui tombe à son tour. Vendredi me regarde les yeux hagards, encore embués d’un sommeil profond. Je descends à grandes enjambées l’escalier et empoigne au passage, la trousse de premiers soins.